Contemple tous les soirs le soleil qui se couche 
 Rien n’agrandit les yeux et l’âme, rien n’est beau 
 Comme cette heure ardente, héroïque et farouche, 
 Où le jour dans la mer renverse son flambeau.
 Pareil, dans un repli secret de la falaise, 
 A cette conque amère où soupirent les flots, 
 Poète, ô labyrinthe impénétrable, apaise 
 Ton cœur sanglant rempli de sel et de sanglots.
 Tourne vers l’horizon ton front mouillé, ta bouche 
 Ouverte, et que tes yeux desséchés par le vent 
 Aillent du lieu tragique où le soleil se couche 
 Aux nocturnes brouillards violets du levant.
 Pèse en les mesurant ces hautes destinées 
 Dont la lumière accrue aveuglait au zénith, 
 Et qui montaient encore et se sont inclinées 
 Lourdement vers l’obscur sépulcre où tout finit.
 L’humanité sans foi vieillit dans l’amertume 
 Songe aux dieux que son jeune espoir crut immortels : 
 Leurs encensoirs rouillés exhalent de la brume, 
 Et l’araignée argente et brode leurs autels.
 Songe aux peuples déchus : ils furent grands. Ta race 
 Avait d’un glorieux azur nourri ses lys, 
 Et ses rois lâches l’ont, débouclant leur cuirasse, 
 Laissé s’entretuer sur ses drapeaux salis.
 La guêpe des fruits mûrs s’attaque aux seins de marbre 
 Songe aux amants qu’on a vus rire avec orgueil 
 Les noms entrelacés qu’ils gravaient sur un arbre 
 Sous l’écorce ont marqué le bois de leur cercueil.
 La trompe aux rauques sons qu’un pâtre morne embouche 
 Rassemble les troupeaux épars sur les près ras. 
 Toi, devant le soleil soucieux qui se couche, 
 Songe à tous les soleils qui ne renaîtront pas ;
 Et tandis qu’abordant au ciel, la nuit sévère 
 Plante dans le linceul du jour enseveli 
 Des astres plus cruels que les clous du Calvaire, 
 Loin du roc par le flot séculaire poli,
 Loin des vents querelleurs et de la mer qui tonne, 
 Remporte, en gravissant d’un pas triste et cassé 
 Des chemins sans échos au bâton qui tâtonne, 
 Le silence d’un cœur où l’amour a passé.
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