Soit lointaine, soit voisine, 
Espagnole ou sarrazine, 
Il n’est pas une cité 
Qui dispute sans folie 
A Grenade la jolie 
La pomme de la beauté, 
Et qui, gracieuse, étale 
Plus de pompe orientale 
Sous un ciel plus enchanté.
Cadix a les palmiers ; Murcie a les oranges ; 
Jaën, son palais goth aux tourelles étranges ; 
Agreda, son couvent bâti par saint-Edmond ; 
Ségovie a l’autel dont on baise les marches, 
Et l’aqueduc aux trois rangs d’arches 
Qui lui porte un torrent pris au sommet d’un mont.
Llers a des tours ; Barcelone 
Au faîte d’une colonne 
Lève un phare sur la mer ; 
Aux rois d’Aragon fidèle, 
Dans leurs vieux tombeaux, Tudèle 
Garde leur sceptre de fer ; 
Tolose a des forges sombres 
Qui semblent, au sein des ombres, 
Des soupiraux de l’enfer.
Le poisson qui rouvrit l’œil mort du vieux Tobie 
Se joue au fond du golfe où dort Fontarabie ; 
Alicante aux clochers mêle les minarets ; 
Compostelle a son saint ; Cordoue aux maisons vieilles 
A sa mosquée où l’œil se perd dans les merveilles ; 
Madrid a le Manzanarès.
Bilbao, des flots couverte, 
Jette une pelouse verte 
Sur ses murs noirs et caducs ; 
Médina la chevalière, 
Cachant sa pauvreté fière 
Sous le manteau de ses ducs, 
N’a rien que ses sycomores, 
Car ses beaux pont sont aux maures, 
Aux romains ses aqueducs.
Valence a les clochers de ses trois cents églises ; 
L’austère Alcantara livre au souffle des brises 
Les drapeaux turcs pendus en foule à ses piliers ; 
Salamanque en riant s’assied sur trois collines, 
S’endort au son des mandolines 
Et s’éveille en sursaut aux cris des écoliers.
Tortose est chère à saint-Pierre ; 
Le marbre est comme la pierre 
Dans la riche puycerda ; 
De sa bastille octogone 
Tuy se vante, et Tarragone 
De ses murs qu’un roi fonda ; 
Le Douro coule à Zamore ; 
Tolède a l’alcazar maure, 
Séville a la giralda.
Burgos de son chapitre étale la richesse ; 
Peñaflor est marquise, et Girone est duchesse ; 
Bivar est une nonne aux sévères atours ; 
Toujours prête au combat, la sombre Pampelune, 
Avant de s’endormir aux rayons de la lune, 
Ferme sa ceinture de tours.
Toutes ces villes d’Espagne 
S’épandent dans la campagne 
Ou hérissent la sierra ; 
Toutes ont des citadelles 
Dont sous des mains infidèles 
Aucun beffroi ne vibra ; 
Toutes sur leurs cathédrales 
Ont des clochers en spirales ; 
Mais Grenade a l’Alhambra.
L’Alhambra ! l’Alhambra ! palais que les Génies 
Ont doré comme un rêve et rempli d’harmonies, 
Forteresse aux créneaux festonnés et croulants, 
Ou l’on entend la nuit de magiques syllabes, 
Quand la lune, à travers les mille arceaux arabes, 
Sème les murs de trèfles flancs !
Grenade a plus de merveilles 
Que n’a de graines vermeilles 
Le beau fruit de ses vallons ; 
Grenade, la bien nommée, 
Lorsque la guerre enflammée 
Déroule ses pavillons, 
Cent fois plus terrible éclate 
Que la grenade écarlate 
Sur le front des bataillons.
Il n’est rien de plus beau ni de plus grand au monde ; 
Soit qu’à Vivataubin Vivaconlud réponde, 
Avec son clair tambour de clochettes orné ; 
Soit que, se couronnant de feux comme un calife 
L’éblouissant Généralife 
Elève dans la nuit son faîte illuminé.
Les clairons des Tours-Vermeilles 
Sonnent comme des abeilles 
Dont le vent chasse l’essaim ; 
Alcacava pour les fêtes 
A des cloches toujours prêtes 
A bourdonner dans son sein, 
Qui dans leurs tours africaines 
Vont éveiller les dulcaynes 
Du sonore Albaycin.
Grenade efface en tout ses rivales ; Grenade 
Chante plus mollement la molle sérénade ; 
Elle peint ses maisons de plus riches couleurs ; 
Et l’on dit que les vents suspendent leurs haleines 
Quand par un soir d’été Grenade dans ses plaines 
Répand ses femmes et ses fleurs.
L’Arabie est son aïeule. 
Les maures, pour elle seule, 
Aventuriers hasardeux, 
Joueraient l’Asie et l’Afrique, 
Mais Grenade est catholique, 
Grenade se raille d’eux ; 
Grenade, la belle ville, 
Serait une autre Séville, 
S’il en pouvait être deux.
Du 3 au 5 avril 1828.
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