Je sais bien qu’il est d’usage 
D’aller en tous lieux criant 
Que l’homme est d’autant plus sage 
Qu’il rêve plus de néant ;
D’applaudir la grandeur noire, 
Les héros, le fer qui luit, 
Et la guerre, cette gloire 
Qu’on fait avec de la nuit ;
D’admirer les coups d’épée, 
Et, la fortune, ce char 
Dont une roue est Pompée, 
Dont l’autre roue est César ;
Et Pharsale et Trasimène, 
Et tout ce que les Nérons 
Font voler de cendre humaine 
Dans le souffle des clairons !
Je sais que c’est la coutume 
D’adorer ces nains géants 
Qui, parce qu’ils sont écume, 
Se supposent océans ;
Et de croire à la poussière, 
A la fanfare qui fuit, 
Aux pyramides de pierre, 
Aux avalanches de bruit.
Moi, je préfère, ô fontaines, 
Moi, je préfère, ô ruisseaux, 
Au Dieu des grands capitaines 
Le Dieu des petits oiseaux !
Ô mon doux ange, en ces ombres 
Où, nous aimant, nous brillons, 
Au Dieu des ouragans sombres 
Qui poussent les bataillons,
Au Dieu des vastes armées, 
Des canons au lourd essieu, 
Des flammes et des fumées, 
Je préfère le bon Dieu !
Le bon Dieu, qui veut qu’on aime, 
Qui met au coeur de l’amant 
Le premier vers du poème, 
Le dernier au firmament !
Qui songe à l’aile qui pousse, 
Aux oeufs blancs, au nid troublé, 
Si la caille a de la mousse, 
Et si la grive a du blé ;
Et qui fait, pour les Orphées, 
Tenir, immense et subtil, 
Tout le doux monde des fées 
Dans le vert bourgeon d’avril !
Si bien, que cela s’envole 
Et se disperse au printemps, 
Et qu’une vague auréole 
Sort de tous les nids chantants !
Vois-tu, quoique notre gloire 
Brille en ce que nous créons, 
Et dans notre grande histoire 
Pleine de grands panthéons ;
Quoique nous ayons des glaives, 
Des temples, Chéops, Babel, 
Des tours, des palais, des rêves, 
Et des tombeaux jusqu’au ciel ;
Il resterait peu de choses 
A l’homme, qui vit un jour, 
Si Dieu nous ôtait les roses, 
Si Dieu nous ôtait l’amour !
Chelles, septembre 18…
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