La vanité nous rend aussi dupes que sots. 
Je me souviens, à ce propos, 
Qu’au temps jadis, après une sanglante guerre 
Où, malgré les plus beaux exploits, 
Maint lion fut couché par terre, 
L’éléphant régna dans les bois. 
Le vainqueur, politique habile, 
Voulant prévenir désormais 
Jusqu’au moindre sujet de discorde civile, 
De ses vastes états exila pour jamais 
La race des lions, son ancienne ennemie. 
L’édit fut proclamé. Les lions affaiblis, 
Se soumettant au sort qui les avait trahis, 
Abandonnent tous leur patrie. 
Ils ne se plaignent pas, ils gardent dans leur cœur 
Et leur courage et leur douleur. 
Un bon vieux petit chien, de la charmante espèce 
De ceux qui vont portant jusqu’au milieu du dos 
Une toison tombant à flots, 
Exhalait ainsi sa tristesse : 
Il faut donc vous quitter, ô pénates chéris ! 
Un barbare, à l’âge où je suis, 
M’oblige à renoncer aux lieux qui m’ont vu naître. 
Sans appui, sans secours, dans un pays nouveau 
Je vais, les yeux en pleurs, demander un tombeau, 
Qu’on me refusera peut-être. 
Ô tyran, tu le veux ! Allons ! Il faut partir. 
Un barbet l’entendit : touché de sa misère, 
Quel motif, lui dit-il, peut t’obliger à fuir ? 
– Ce qui m’y force, ô ciel ! Et cet édit sévère 
Qui nous chasse à jamais de cet heureux canton… ? 
– Nous ? – Non pas vous, mais moi. – Comment ! Toi, 
Mon cher frère ? 
Qu’as-tu donc de commun… ? – Plaisante question ! 
Eh ! Ne suis-je pas un lion ?
Le petit chienJean-Pierre Claris de Florian
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